C’est mille lieux à la fois, mille et une rencontres, autant de projets.
Il est apparu en Sud Essonne, en zone périurbaine, aux prémices du coworking en France. Nous étions en 2015, dans le bureau de Guillemette où elle avait installé sa Manufacture de Talents. Chez Guillemette à Mennecy.
Sa naissance est plus lointaine, avec les premiers cafés volés aux heures perdues du lycée (un prof absent, des heures d’études en début ou fin de journée, la pause déjeuner…). C’est là que tout a commencé avec l’odeur de tabac et les habitués du Marais. Le petit noir qu’on fait durer parce que c’est ce qu’il y a de moins cher. On le boit froid, tiède, jamais brûlant ni chaud. Les esprits s’échauffent, les mains se touchent, les amitiés comme les amours se font et se défont, les cours se rattrapent.
Puis on grandit avec lui, ça devient le café comptoir partagé avant le départ au boulot ou à la fac avec ses parents, sans sucre, amer, mais chaud cette fois-ci ! Moment de connivence vite partagé dont on se souvient encore des années après.
A la fac, c’est la course au gobelet vide, il peut rapporter gros. En les cumulant, la machine finit par offrir un café, le graal pour ces étudiants en InfoCom.
En pleine montagne, sur un réchaud parfois trop bancal, il t’assure ton équilibre pour tes premiers pas dans la neige ou sur la paroi.
Au boulot, c’est au détour d’un couloir qu’on fait et défait les projets, il n’est même pas bon ce café, mais il est précieux. Si tu ne fréquentes pas le lieu, tu es out. Si tu le fréquentes trop, mauvais signe encore. Il te permettra de prolonger les échanges en afterwork ou de placer tes idées pour un projet. Il est donc à fréquenter en toute modération.
Avec les années, il devient objet de toutes les convoitises tellement il se différencie, il te devient indispensable. A la fin de ton repas, comme le signal du bien manger. A jeun, comme l’élixir d’une journée qui sera bien menée. Avec les rires des tiens, et même tes pleurs. Tous ses souvenirs qu’il évoque rien qu’avec ses odeurs.
Un jour de 2016 en terres beaujolaises, l’occasion s’offre à toi, et tu ouvres ton propre Café des échanges. Il aura fallu peu de choses pour que ce soit possible : un espace de coworking où la machine à café est déjà le protagoniste principal. Toi. Ce sera une cafetière thermos, pas ta préférée, mais c’est un détail, le café est bio, c’est déjà tout ce qu’il te faut.
Chaque vendredi matin, à 9h, les portes s’ouvrent sur le grand espace projeté au-dessus de l’Azergues. Au début il y a une ou deux personnes, parfois aucune, et les semaines se passent, quoiqu’il advienne, quel que soit le temps. La porte s’entrebâille, la cafetière tourne et ils et elles sont là pour échanger, parler de leurs projets. Les plus gourmands sont venus les mains pleines. Le café coule à flot, la thermos est inutile. Les idées se mêlent, les liens se créent. C’est tout ce dont chacun a besoin. Cela va durer trois belles années où le monde entrepreneurial de la Haute Azergues verra éclore des projets du bien-être à l’informatique libre, en passant par des associations d’aide aux plus vulnérables (femmes victimes de violences conjugales, aînés isolés). Les succès seront fêtés dignement, autour d’un mug ou d’une petite tasse, car à chacun son café, court ou long, serré ou allongé, l’essentiel n’est pas là. Il est dans le prétexte qu’il leur donne de se retrouver.
Un jour, la porte est restée close. C’était au début de l’été. Peut-être qu’il faisait trop chaud pour un café. Ou que celui-ci avait fait trop de bruit et qu’il dérangeait. Qui sait ?
Il a essayé d’aller se faire moudre ailleurs. Mais le mélange n’a pas pris. Même les voisines ont ouvert leurs portes, que ce soit celle du jardin ou de la cuisine. Le tiers-lieu voisin a offert son écrin foisonnant. Il y a eu de beaux sursauts. Le COVID en a permis un dernier avec l’ouverture d’un café virtuel sur une messagerie instantanée. Mais sans pouvoir ni sentir ni toucher le café, sauf de manière individuelle, il n’y a eu que trop peu d’échanges… et les liens se sont distendus.
Le Café des échanges attend son heure. Il s’offre quelques minutes au détour d’une rencontre à la terrasse du café du village, un matin de semaine ensoleillé, ou d’un projet en cours abordé entre deux portes de voiture sur le parking de l’école. Il sait qu’on a besoin de lui. Il pourra s’installer ici ou ailleurs, avec les uns et les autres. Tous l’attendent.
Un jour, de nouveau, il coulera à flots. Y croire, c’est déjà le voir.
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